Eté 2019

Dans les années 40, le gouvernement canadien n’y est pas allé de main morte dans le territoire du Yukon : tout se qui se trouvait à l’ouest de l’Alaska Highway fut déclaré parc de loisir, sur une surface qui représente la moitié du territoire suisse. Les Amérindiens ont été ainsi privés d’une partie de leurs terres, la chasse et la cueillette y ont été interdites. Aujourd’hui, les quelques milliers des représentants des premières nations Champagne et Aishihik, même s’ils habitent principalement à Whitehorse, ont récupéré leurs droits et participent à la gestion de ce qui est devenu le parc national Kluane. Voilà ce que nous apprenons au centre culturel de Haines Junction en ces jours de pluie persistante sous des nuages cachant tous les sommets qui nous font fantasmer. Nous avons tout le temps de programmer les marches que nous pourrions entreprendre, en guettant l’évolution de la météo.

Nous commençons prudemment par celle qui longe la rivière Dezadeash, tout près de Haines Junction où nous logeons. Et là, pas de chance, un ours noir y a été signalé le matin même. Nous voilà parties avec appréhension et déterminées à parler fort, à chanter, à taper dans les mains, toutefois bien équipées du dernier recours en cas de rencontre rapprochée, un « bear spray ». Nous en rentrons exténuées après deux heures tellement nous étions tendues. Chaque jour, pendant un moment, nous arpentons les bois en nous appliquant à faire du bruit, un peu étonnées et désappointées du faible nombre de promeneurs. Heureusement, la traversée des épinettes et des trembles aboutit souvent sur un point de vue dégagé avec un paysage splendide à savourer, le temps de reprendre notre souffle.

Parfois, sur les parkings, nous voyons partir avec envie des vrais randonneurs avec matériel de camping et récipients hermétiques anti-odeur. En tout cas, nous, nous aurions vraiment de la peine à vivre plusieurs jours là où les ours noirs et les grizzlis abondent. Alors nous les éloignons de notre chemin en espérant quand même en apercevoir un de loin. Et nous en observons effectivement un, mais sur la route devant notre voiture !

Une grande partie des voyageurs ici font la route dans des maisons sur roue en s’arrêtant pour des grillades, des pique-niques ou pour contempler le panorama. Mais, nous voyons aussi beaucoup de canadiens voguer sur les rivières et les lacs, ou en en train de pêcher au fil de l’eau. A l’aérodrome de Silver City, nous rencontrons Serge, un québécois qui vient se ressourcer au Yukon depuis 20 ans. Il nous explique simplement son amour de ce pays en nous faisant sentir comme on respire bien ici, comme c’est tranquille, comme on prend le temps de « jaser ». Nous, qui sortons de l’avion encore toutes étourdies du vol sur l’immense champ glaciaire, nous l’écoutons avec émotion raconter qu’il va aller tout à l’heure passer la nuit là-haut dans une tente face au Mont Logan pour, nous dit-il les larmes aux yeux, communiquer avec son père récemment décédé. Lorsque nous le recroisons le lendemain au Visitor Center, il nous confie qu’il se sent maintenant apaisé. Et, à propos de nos balades dans la crainte des ours, il nous encourage à persister pour nous dépasser et prendre peu à peu confiance. Nous avons passé un bon moment à « jaser » avec lui et ressortons ragaillardies de cette belle rencontre.

Le territoire du Yukon possèderait également des atouts secrets. Nous avons appris qu’en hiver, une importante clientèle chinoise y vient dans le but de concevoir un enfant. Les aurores boréales exerceraient une influence très bénéfique sur le caractère des êtres conçus sous leurs auspices…

Lors de la semaine passée ici, nous nous sommes senties toutes petites dans cet espace et fragiles dans une nature sauvage qui n’arrête pourtant pas de nous attirer et qui nous a fait rêver dans l’ouvrage d’Anne-Marie Garat, Le Grand Nord-Ouest, dont une grande partie de l’action se déroule dans cette région.